Se soigner par les plantes
Ceci est la reproduction d'un article paru en octobre 2007 dans la revue "Recherche et Santé" de la Fondation pour la Recherche Médicale.
Les 3 intervenants de cet article, sont :
Jacqueline Viguet Poupelloz Responsable de la cellule "Plantes" au département "Evaluation de la qualité pharmaceutique des médicaments", à l'AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) Professeur Pierre Delaveau Enseignant et spécialiste reconnu des plantes. Il est membre de l'Académie de Pharmacie et de Médecine Jean Lamarche Pharmacien d'officine et veci-président du Comité d'Education Sanitaire et Social de la Pharmacie Française (CESPHARM)
Aujourd'hui, les plantes ont-elles encore leur place dans notre pharmacie ?
Pr Pierre Delaveau : L'origine de l'utilisation des plantes remonte probablement au premier mécanisme de l'alimentation : la quête alimentaire.
Elle a permis de sélectionner des plantes bonnes à manger, mais aussi des plantes amères ou redoutables.
Les gens sages ont ainsi constitué un héritage qui est arrivé jusqu'à nous.
Puis, est apparu le « réflexe de signature », une notion qui veut que le caractère extérieur d'une plante porte un message à interpréter. Ainsi, la feuille de vigne de couleur rouge favoriserait la circulation sanguine.
En Occident, cela nous paraît grotesque mais vous retrouvez cette notion dans la pensée, chinoise et indienne.
Enfin, depuis le XIXe siècle, on essaie de faire l'inventaire des constituants des plantes par le biais de la chimie analytique.
Jean Lamarche : Aujourd'hui, les plantes occupent une place secondaire dans nos pharmacies.
La phytothérapie est la médecine qui utilise les plantes sèches sous forme de feuilles, racines, fruits, fleurs ou poudre, mais la majorité des gens confondent la phytothérapie avec l'homéopathie.
Jacqueline Viguet Poupelloz : Il existe environ 800 médicaments autorisés à base de plantes, ce qui n'est pas si mal. Une très grande majorité est disponible sans ordonnance, mais beaucoup de médicaments chimiques aussi !
Schématiquement, on distingue deux catégories, en fonction de notre degré de connaissance de la composition des plantes, mais aussi en fonction des études cliniques réalisées.
Dans la première catégorie sont classés les médicaments traditionnels dont l'efficacité est présumée du fait de leur usage, mais pour lesquels les études n'ont pas été faites avec la rigueur nécessaire aujourd'hui. Pour ces médicaments, l'exigence de non-toxicité est élevée puisque le bénéfice n'est pas cliniquement démontré.
Une seconde catégorie regroupe les médicaments pour lesquels il existe des études cliniques ayant permis d'établir des bienfaits pour certaines pathologies.
Dans tous les cas, le laboratoire pharmaceutique doit déposer auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps, anciennement Agence du médicament) un dossier d'autorisation de mise sur le marché (AMM) avant la commercialisation.
Doit-on utiliser les plantes en complément ou en remplacement des médicaments de synthèse ?
Jacqueline Viguet Poupelloz : Les médicaments traditionnels à base de plantes sont essentiellement destinés à des pathologies bénignes ne nécessitant pas l'intervention d'un médecin. Mais si les symptômes ne diminuent pas avec ces médicaments, il est indiqué de consulter.
Jean Lamarche : En pratique, les plantes sont souvent utilisées en complément. Il faut reconnaître que la phytothérapie est un domaine mal connu des médecins, même s'il existe des phytothérapeutes capables de prescrire des traitements de fond à base de plantes.
On a ainsi recours à la médecine par les plantes dans les maladies chroniques. Par exemple, pour les colites (troubles du transit), on utilise l'angélique ou la mélisse ; pour les rhumatismes, l'harpagophytum, etc.
Les plantes sont également peu utilisées pour des raisons économiques. Il n'existe pas de brevets sur les plantes, aussi un laboratoire devrait-il investir des millions sur une plante que tout le monde pourrait ensuite utiliser gratuitement. À ma connaissance, le seul médicament à base de plantes ayant fait l'objet d'essais comparatifs est Feuphytose® (spécialité contre la nervosité à base d'extraits de valériane, ballote, passiflore et aubépine), car il avait un bon potentiel de rentabilité. Ces études allaient donc renforcer sa crédibilité.
Pr Pierre Delaveau : Il est vrai que nous manquons de travaux de recherche pour étudier les plantes. Elles possèdent une masse de propriétés insuffisamment exploitées. Les médicaments à base de plantes ne sont protégés par des brevets que dans le cas d'hémisynthèse : on prend des produits bio-synthétisés dans les plantes et on les modifie pour les rendre moins toxiques, plus solubles dans l'eau.
On a ainsi mis au point beaucoup de médicaments anticancéreux, comme le taxol, à partir de l'if, ou la vinorelbine, à partir de la pervenche de Madagascar, notamment grâce aux travaux de Pierre Potier, un chercheur français aujourd'hui décédé.
Les formulations à base de plantes sont-elles moins dangereuses parce que naturelles ?
Jean Lamarche : Les médicaments à base de plantes sont souvent moins dangereux car les doses absorbées sont très faibles, et non pas parce qu'ils sont d'origine naturelle.
Les plantes sont souvent utilisées en décoction, en macération, ou en infusion, comme le thé.
Quand on fait les préparations soi-même, mieux vaut prendre le conseil d'un pharmacien et privilégier les plantes proposées par les laboratoires pharmaceutiques.
Mais, aujourd'hui, on peut également acheter des gélules contenant la plante pulvérisée. En Chine, on réalise des extraits en captant les principes actifs des plantes avec de l'alcool qui est ensuite ensuite évaporé. Mais nous, pharmaciens, nous n'avons pas le droit de le faire car en 2007, cela manque de rigueur scientifique !
Pr Pierre Delaveau : Une précision : les décoctions sont préconisées pour ce qui est difficile à cuire, comme les racines. La tisane et l'infusion conviennent mieux aux feuilles, plus délicates.
Jacqueline Viguet Poupelloz : C'est un peu simpliste de penser qu'un produit est moins dangereux parce que naturel.
Le millepertuis, par exemple, est connu pour avoir de nombreuses interactions médicamenteuses.
Ces dernières années, plusieurs accidents sont survenus avec des plantes.
Il faut être particulièrement vigilant avec les produits vendus sur Internet et portant des mentions de médicament alors qu'aucun dossier n'a été déposé auprès de l'Afssaps et que, par conséquent, les trois critères d'un médicament - qualité, efficacité, sécurité - n'ont pas été évalués.