Chap.5 L’énergie nucléaire

 

Introduction : la découverte de l'énergie nucléaire

 

Voici un rappel des dates qui ont marqué une étape dans la connaissance de l'énergie nucléaire.

1905 : le physicien d'origine allemande Albert Einstein écrit la célèbre relation E = m c2.

1911 : le physicien néo-zélandais Ernest Rutherford découvre que 99,99 % du volume de l'atome est vide et que la matière est concentrée en un "noyau" très dense et chargé positivement.

1919 : Rutherford découvre le proton, particule chargée positivement.

1932 : le physicien britannique James Chadwick découvre une particule électriquement neutre dont le nombre de masse est égal à 1 : le neutron. L'existence des neutrons était prédite par Rutherford depuis 1920.

1934 : les physiciens français Frédéric Joliot et sa femme Irène Joliot-Curie découvrent que de l'aluminium bombardé par des particules `α` se transmute en un isotope artificiel radioactif du phosphore. Ils viennent d'inventer la radioactivité artificielle.

1934 : Rutherford observe la première réaction de fusion nucléaire.

1934 : le physicien italien Enrico Fermi commence un travail de recherche de noyaux artificiels par bombardement de noyaux stables avec des neutrons lents. Il observe alors le comportement étrange de l'uranium.

1936 : le physicien britannique Francis Aston mesure les défauts de masse des atomes et spécule sur la possibilité de libérer de l'énergie par fission ou fusion nucléaires.

1938 : les chimistes allemands Otto Hahn, Fritz Strassmann et Lise Meitner découvrent que l'uranium bombardé a donné naissance à un noyau de baryum (beaucoup plus petit). Ils viennent de découvrir la fission nucléaire.

1939 : Lise Meitner, d'origine juive, qui a fuit en Suède, explique le mécanisme de la fission nucléaire.

1939 : Frédéric Joliot et Enrico Fermi découvrent que l'uranium peut donner lieu à une réaction en chaîne.

1940 : Les recherches se poursuivent, en Allemagne et aux États-Unis, dans le domaine de l'énergie nucléaire.

1943 : Les recherches s'intensifient aux États-Unis, avec le projet Manhattan, pour mettre au point l'arme nucléaire.

1945 : Pour forcer la capitulation du Japon, le président Harry Truman décide d'utiliser la bombe atomique, le 6 août à Hiroshima, puis le 9 à Nagasaki.

1948 : Le physicien américain d'origine ukrainienne George Gamow décrit la formation originelle des atomes par des réactions de fusion nucléaire.

1950 : Pendant la guerre froide, les États-Unis, l'URSS, le Royaume-Uni et la France cherchent à développer la bombe à hydrogène.

1951 : Utilisation de la fission nucléaire dans la première centrale nucléaire.

1952 : Les États-Unis font exploser la première bombe H (cent fois plus puissante qu'une bombe A).

1957 : Des physiciens américains expliquent la synthèse des noyaux atomiques lors des réactions de fusion nucléaire au coeur des étoiles.

1958 : Intensification des recherches sur la fusion nucléaire civile.

 

1. Equivalence masse-énergie

 

1.a. Relation d’Einstein

La théorie de la relativité, publiée par Albert Einstein en 1905, va révolutionner la physique en proposant la notion d'équivalence masse-énergie.

Toute particule de masse m possède une énergie de masse (ou énergie potentielle) telle que : . . E = m . c2

unités : l'énergie E en joules (J), la masse m en kg et la célérité de la lumière dans le vide est c = 3,00 . 108 m.s-1.

. . . . Remarque : cette relation peut aussi s'écrire : . . . . ΔE = Δm . c2

. . . . Ce qui signifie alors que la variation de masse Δm d'un système, s'accompagne de la variation ΔE de son énergie potentielle; c'est-à-dire, si la masse d'un système diminue, son énergie potentielle diminue, l'énergie perdue par le système étant donnée à son environnement.

 

1.b. Unités d’énergie

L'unité de l'énergie dans le Système International est le joule (J).

Les physiciens utilisent beaucoup une autre unité, l'électron-volt (eV), qui est plus pratique pour l'étude des réactions nucléaires. Par définition, 1 eV est l'énergie cinétique d'un électron accéléré par une différence de potentiel de 1 V.

. . . . D'où :

1 eV = 1,6 . 10-19 J.

. . . . D'où les multiples :

1 keV = 1,6 . 10-16 J.

1 MeV = 1,6 . 10-13 J.

1 GeV = 1,6 . 10-10 J.

 

1.c. Défaut de masse

A partir de 1936, le physicien britannique Francis Aston mesure systématiquement la masse des atomes et la compare avec la masse des leurs constituants. Il constate que les atomes ont toujours une masse inférieure à la somme des masses des particules qui les composent.

Le défaut de masse Δm d’un noyau est égal à la différence entre la masse de l’ensemble de ses constituants et la masse m du noyau.

Pour un noyau `{::}_Z^A`X de masse m, constitué de Z protons de masse mp et (A-Z) neutrons de masse mn, le défaut de masse Δm est :

Δm = Z.mp + (A-Z).mn – m

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. . . . Remarque : le défaut de masse Δm est tel que : . . Δm > 0

 

1.d. Energie de liaison

D'après la relation d'Einstein, la diminution de la masse du système formé par l'ensemble des nucléons associés dans un noyau, correspond à une diminution de l'énergie potentielle du système.

L’énergie de liaison est égale à l’énergie qu’il faut fournir au noyau pour le décomposer en nucléons indépendants.

L’énergie de liaison El d’un noyau dont le défaut de masse est Δm, est telle que : . . El = Δm. c2

. . . . Remarque : Plus le défaut de masse d'un noyau est grand, plus l'énergie nécessaire à la décomposition du noyau en nucléons sera grande. L'existence d'un défaut de masse lors de la constitution d'un noyau, assure sa stabilité.

 

1.e. Energie de liaison par nucléon

Les mesures réalisées pour différents noyaux montre que l'énergie de liaison augmente avec le nombre de nucléons présents.

Par définition, l’énergie de liaison par nucléon `(E_l)/A` d'un noyau est égale au rapport de l’énergie de liaison El sur le nombre de nucléons A du noyau.

Plus l’énergie de liaison par nucléon d'un noyau est grande, plus ce noyau est stable.

 

1.f. Courbe d'Aston

Les mesures faites par Aston, ont conduit au graphe suivant donnant `(E_l)/A` en fonction de A :

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Ce graphe met en évidence une rapide augmentation de l’énergie de liaison par nucléon pour les noyaux légers, jusqu'à atteindre une valeur maximale (aux alentours de A = 56), puis une lente diminution pour les noyaux lourds.

Les physiciens préfèrent représenter le graphe donnant -`(E_l)/A` en fonction de A :

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Cette dernière courbe, appelée courbe d'Aston, a l'avantage de mieux montrer que les noyaux composés d'un nombre de nucléons voisin de 56, sont les plus stables et que les noyaux les moins stables sont aux 2 extrémités de la courbe : les noyaux légers et les noyaux lourds.

 

2. Les réactions nucléaires

 

2.a. La fission

Une réaction de fission est une réaction nucléaire au cours de laquelle un noyau lourd se décompose en 2 noyaux moins lourds.

 

Noyaux fissiles

D'après la courbe d'Aston, la fission est possible avec les noyaux les plus lourds.

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En réalité, la réaction de fission n'est possible qu'avec certains noyaux appelés noyaux fissiles.

. . . . Exemples :

. . . . . . . - `{::}_92^235`U (le seul noyau naturel fissile) ;

. . . . . . . - `{::}_92^233`U ; . . `{::}_93^238`Np ; . . `{::}_94^239`Pu ; . . `{::}_94^243`Pu ... (des noyaux artificiels) ;

 

Réaction

L'expérience montre que la réaction de fission se produit lorsqu'un noyau fissile capture un neutron lent (c'est-à-dire un neutron de faible énergie cinétique).

Souvent, la fission du noyau lourd en 2 noyaux plus légers, est accompagnée de la libération de 2, 3 ou 4 nouveaux neutrons ... qui vont, à leur tour, provoquer la fission de nouveaux noyaux. Ainsi, la fission peut rapidement donner lieu à une réaction en chaîne.

. . . . Illustration trouvée sur Wikipédia :

 

 

. . . . Exemples :

. . . . . . . - `{::}_92^235`U . . + . . `{::}_0^1`n . . —> . . `{::}_36^93`Kr . . + . . `{::}_56^140`Ba . . + . . 3 `{::}_0^1`n ;

. . . . . . . - `{::}_92^235`U . . + . . `{::}_0^1`n . . —> . . `{::}_39^94`Y . . + . . `{::}_53^139`I . . + . . 3 `{::}_0^1`n ;

. . . . . . . - `{::}_92^235`U . . + . . `{::}_0^1`n . . —> . . `{::}_35^88`Br . . + . . `{::}_57^144`La . . + . . 4 `{::}_0^1`n ;

. . . . . . . - `{::}_92^235`U . . + . . `{::}_0^1`n . . —> . . `{::}_38^94`Br . . + . . `{::}_54^140`Xe . . + . . 2 `{::}_0^1`n.

. . . . L'ordre de grandeur de l'énergie libérée lors d'une de ces réactions est de 200 MeV.

 

Réacteur nucléaire

Cette réaction peut être exploitée dans les centrales nucléaires pour produire de l'énergie si la fission est contrôlée.

Le coeur du réacteur est constitué de tubes de zirconium contenant de l'oxyde d'uranium enrichi (avec 3 à 5 % d'uranium 235 au lieu des 0,7 % de l'uranium naturel).

Il faut une masse d'environ 100 tonnes d'uranium enrichi pour un réacteur de 1300 MW.

Pour éviter l’emballement de la réaction en chaîne, des barres de cadmium ou de bore (barres de contrôle) peuvent être introduites dans le réacteur pour absorber l'excès de neutrons produits.

L'énergie produite au coeur du réacteur est transmise à un circuit caloporteur (circuit primaire), qui lui-même la transmet à un circuit générateur de vapeur (circuit secondaire) actionnant une turbine et un alternateur.

Le circuit secondaire nécessitant un refroidissement important, les centrales sont souvent construites à proximité de la mer, d'un fleuve ou avec des tours de refroidissement.

La France possède 58 réacteurs nucléaires en service, qui assurent 78% de l'énergie électrique produite en France.

. . . . Remarque :

. . . . Les problèmes liés à l'exploitation de la fission nucléaire :

. . . . . . . - le risque d'accident de nature écologique ;

. . . . . . . - la gestion des déchets radioactifs ;

. . . . . . . - les ressources limitées en uranium.

. . . . Sur le site du CEA (Commissariat à l'Énergie Atomique) : la fission nucléaire

. . . . Sur le site du CEA : le cycle du combustible

. . . . Sur le site du CEA : les déchets radioactifs

 

La bombe A

La même réaction de fission a aussi été exploitée dans les bombes A où elle donne lieu à une fission incontrôlée.

Le 6 juin 1945, une bombe A à l'uranium enrichi d'une énergie équivalente à environ 15 kt de TNT, explosa à Hiroshima.

Le 9 août 1945, une bombe au Plutonium (équivalente à 22 kt de TNT) est larguée à Nagasaki.

. . . . Remarque :

. . . . Dans une bombe atomique, toute l'énergie disponible est libérée en une fraction de seconde, alors que dans un réacteur nucléaire, elle serait libérée progressivement pendant plusieurs mois.

. . . . Sur le site de Wikipédia : Bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki

 

2.b. La fusion

La fusion est une réaction nucléaire au cours de laquelle 2 noyaux légers fusionnent pour former un noyau plus lourd.

D'après la courbe d'Aston, la fusion est possible avec les noyaux les plus légers si le noyau formé est plus stable.

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La réaction de fusion est possible avec beaucoup de noyaux légers.

. . . . Exemples :

. . . . . . . - `{::}_1^1`H (proton) ; . . `{::}_1^2`H ; . . `{::}_1^3`H ; . . `{::}_2^3`He ; ...

 

Réaction

L'expérience montre que la réaction de fusion se produit spontanément lorsque des noyaux légers sont à très haute température.

. . . . Remarques :

. . . . La température à partir de laquelle les réactions de fusion démarrent spontanément, est de l'ordre de 100 millions de degrés (ou 108 K). D'où l'expression de fusion thermonucléaire.

. . . . A ces températures très élevées, les molécules et les atomes sont décomposés en plasma, c'est-à-dire en noyaux et électrons indépendants.

. . . . Au niveau microscopique, la température élevée correspond à une très grande énergie cinétique des noyaux et électrons.

. . . . Lors du choc entre 2 noyaux, l'énergie cinétique très élevée permet de vaincre la répulsion coulombienne des noyaux.

 

. . . . Exemples :

. . . . . . . - `{::}_1^1`H . . + . . `{::}_1^1`H . . —> . . `{::}_1^2`H . . + . . `{::}_1^0`e ;

. . . . . . . - `{::}_1^2`H . . + . . `{::}_1^2`H . . —> . . `{::}_1^3`H . . + . . `{::}_1^1`H ;

. . . . . . . - `{::}_1^2`H . . + . . `{::}_1^3`H . . —> . . `{::}_2^4`He . . + . . `{::}_0^1`n ;

. . . . . . . - `{::}_1^2`H . . + . . `{::}_1^2`H . . —> . . `{::}_2^3`He . . + . . `{::}_0^1`n ;

. . . . . . . - `{::}_1^2`H . . + . . `{::}_2^3`He . . —> . . `{::}_2^4`He . . + . . `{::}_1^1`H ;

. . . . . . . - `{::}_1^3`H . . + . . `{::}_2^3`He . . —> . . `{::}_2^4`He . . + . . `{::}_1^1`H . . + . . `{::}_0^1`n ;

. . . . L'énergie libérée lors d'une de ces réactions est de 3 à 18 MeV.

 

Nucléosynthèse

La théorie du Big Bang (sur le site de Wikipédia : Big Bang) affirme qu'à l'origine de l'Univers, les noyaux les plus légers (hydrogène, hélium, lithium) ont été synthétisés par fusion à partir d'un plasma originel formé de protons, neutrons, électrons et photons.

Les étoiles ont donc été formées à partir de ces noyaux légers.

Dans les étoiles, les réactions de fusions synthétisent les noyaux allant du lithium au fer.

La fusion thermonucléaire est donc la réaction permettant la synthèse des premiers éléments (de l'hydrogène au fer). Cette synthèse s'arrête au fer à cause de sa stabilité particulière (ou de sa position particulière sur la courbe d'Aston).

 

Projets de réacteur

Dans les années 1960, plusieurs pays ont commencé des recherches pour réaliser un réacteur permettant la fusion.

La principale difficulté vient de la température extrêmement élevée (108 K) devant être atteinte, alors qu'aucun matériau ne résiste à une température de l'ordre de 104 K.

Il faut donc trouver le moyen de confiner le plasma en un lieu où il n'est en contact avec aucune paroi matérielle (sinon, d'une part, le plasma se refroidit, et d'autre part, la paroi est détruite).

Des recherches, comme dans le projet de réacteur ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) construit à Cadarache, sont orientées vers un confinement par des champs magnétiques intenses.

. . . . Sur le site de Wikipédia : ITER

D'autres, comme dans le futur Laser mégajoule, sont orientées vers un confinement inertiel à des pressions élevées.

. . . . Remarques :

. . . . La fusion a l'avantage sur la fission de présenter moins de risques, de produire moins de déchets radioactifs et de consommer des nucléides de l'hydrogène (et du lithium) qui sont très abondants dans l'eau des océans.

. . . . La principale difficulté liée à la fusion est d'ordre technologique.

. . . . En 2040, la fusion nucléaire sera peut-être une alternative à d'autres modes de production de l'énergie.

. . . . Sur le site du CEA (Commissariat à l'Énergie Atomique) : la fusion nucléaire

 

La bombe H

La mise au point de la bombe thermonucléaire a demandé beaucoup moins de prouesses technologiques.

Les États-Unis ont fait exploser la première bombe H, le 1er novembre 1952. Cette bombe 100 fois plus puissante qu'une bombe A, était amorcée par une petite bombe A dont le rôle était de porter le plasma à 108 K.

 

2.c. Energie libérée

Lors d’une réaction nucléaire (fusion, fission ou désintégration radioactive), la libération d’énergie s'accompagne d'une perte de masse de l'ensemble du système.

L’énergie libérée peut donc être calculée à partir de la perte de masse (exercices 5B et 5C), ou à partir des énergies de liaison des différents noyaux concernés (exercice 5A).